Attractivité : et si la solution au chômage était locale, créative et humaine ?
Au Teil, l’Entreprise à But d’Emploi Déclic et des Claps invente l'emploi autrement
« On ne choisit pas les gens. Ce sont les eux qui font l’entreprise. »
Cette phrase de Floriane Peverelli, directrice de l’Entreprise à But d’Emploi (EBE) Déclic et des Claps au Teil, pourrait résumer à elle seule l’esprit d’une initiative hors norme qui fait la démonstration qu’un emploi utile, durable et choisi, c’est possible — même pour celles et ceux que le système avait laissés de côté.
Cette semaine, Oh ! Des territoires vivants poursuit son exploration de l’attractivité dans les territoires ruraux et plus précisément en Ardèche. On parle avec Floriane Peverelli de la façon, dont, il est possible de redonner vie à un territoire.
Déclic et des Claps - Le Teil - Ardèche
Temps de lecture : environ 10 minutes
Le Teil, laboratoire d’une autre économie
Créée en juin 2023, Déclic et des Claps est la 2e EBE implantée au Teil dans le cadre de l’expérimentation nationale Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD). Son objectif est simple en apparence, radical en profondeur : éradiquer le chômage de longue durée à l’échelle locale.
Le principe est clair :
toute personne privée d’emploi depuis plus d’un an,
résidant sur la commune depuis plus de 6 mois,
peut obtenir un CDI sans condition de diplôme, ni sélection.
Et ensuite ? Ensuite, l’entreprise s’adapte à la personne.
On discute, on explore : « J’aime être au contact des enfants ? J’ai une appétence manuelle ? Je me sens à l’aise dans tout ce qui est logistique ? J’aime être en lien avec les gens ? »
Et on crée des activités à partir des compétences présentes plutôt que d'imposer une fiche de poste.
Avant l’emploi : lever les freins, reconstruire les parcours
Ce qu’on oublie souvent, c’est que pour beaucoup de personnes privées d’emploi depuis longtemps, l’enjeu n’est pas juste de trouver du travail. Il s’agit d’abord de remettre en mouvement des trajectoires cabossées, parfois paralysées.
Chez Déclic et des Claps, ce travail commence bien avant les premières missions. Et il se poursuit, au fil des mois, dans la durée, l’avantage que présente un contrat en CDI.
Mobilité, trauma, confiance : des freins invisibles mais puissants
« Il y a des gens qui ont le permis, mais qui ne conduisent plus, parce qu’ils ont vu des proches avoir des comportements accidentogènes. On travaille ça avec des bénévoles hypnothérapeutes ou des praticiens d’EFT (technique de libération émotionnelle) ».
Des accompagnements alternatifs qui viennent compléter les outils plus classiques comme ce partenariat avec Mobilité 0726, pour proposer :
des ateliers de remise en selle à vélo,
des modules pour reprendre confiance au volant,
des aides au passage du permis
Le CDI comme rempart, comme tremplin, comme ancrage
« Officiellement, on n’est pas une structure d’insertion. Mais dans les faits, on est considérés comme tels… sauf qu’ici, les gens sont en CDI ».
Et ce CDI, c’est la clé car il donne du temps pour se reconstruire, pour réintégrer un collectif, pour se projeter sans peur. Car non, comme le dit si bien Floriane, ce n’est pas en trois mois qu’on devient “employable”.
« Certains, au bout d’un an ou deux, seulement, osent rouvrir des dossiers d’addictions, renouer avec des enfants ou quitter un conjoint violent ».
Accompagner l’apprentissage au rythme des personnes
Chez Déclic et des Claps, on forme, oui. Mais là encore, au bon moment, et dans le bon ordre.
Année 1 : reconstruire le collectif
L’objectif en 2023 a donc été de réapprendre à faire groupe. Comment communiquer, comment travailler à plusieurs, comment créer une culture commune ?Année 2 : les socles techniques
Place aux formations obligatoires et pratiques :
HACCP (hygiène alimentaire),
SST (secourisme)…
Année 3 : vers les projets métiers
En 2025, on monte d’un cran : certaines personnes vont passer le BAFA en juin. D’autres auront des modules personnalisés selon leurs besoins : animation, logistique, accueil, médiation…
L’idée est simple : le métier vient après avoir retrouvé un ancrage pour pouvoir se projeter, choisir, viser plus loin.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ?
🎯 Connaissez-vous d’autres territoires sur lesquels des EBE se sont déployées ?
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Le modèle économique : un équilibre à construire
L’EBE fonctionne sur un modèle hybride :
une aide publique (l’équivalent des 18 000 €/an que coûte un chômeur à la collectivité),
et un chiffre d’affaires généré par des activités non concurrentielles.
Mais pourquoi les activités doivent être non concurrentielles ? Tout simplement pour ne pas déstabiliser l’économie locale classique.
Résultat : toutes les EBE de France sont des structures polyactives, qui occupent les « interstices » de l’économie — ces zones que le marché délaisse, car jugées non rentables ou marginales.
En 2025, Déclic et des Claps aura permis la création de 37 emplois.
Objectif : atteindre 130 postes fin 2025, et 230 à terme, en lien avec une 3e EBE à venir, au Teil.
Cependant les subventions diminuent au fil des années aussi l’enjeu est clair pour l’EBE qui doit être en mesure d’être rentable et de générer du chiffre en imaginant des activités utiles, locales… et économiquement viables.
Le LOL : quand un bar à jeux devient moteur d’emploi et de lien social
Tout commence avec une idée un peu folle (ou géniale ?) : créer un bar à jeux.
Pourquoi ? Parce qu’il n’en existait ni au Teil, ni sur la ville drômoise la plus proche, à Montélimar. Et parce qu’Olivier Rey qui a initié cet espace autour du jeu et qui est aujourd’hui responsable du développement dans l’entreprise, avait une vraie vision d’un lieu convivial et fédérateur.
Le LOL a donc ouvert ses portes avec 400 jeux de société, une terrasse ensoleillée et une programmation d'événements éclectiques, participative et locale :
Murder dinners (soirées enquête grandeur nature),
Brunchs ludiques chaque dimanche,
Soirées DJ animées par… des salariés eux-mêmes passionnés de mix,
Accueil de groupes autistes tous les mardis,
Conférences, club d’échecs, soirées cartes, barbecues géants ou raclettes-disco !
Et surtout, ce sont les salariés qui proposent, co-organisent et animent les événements, en fonction de leurs idées, de leurs réseaux, de leurs goûts. Une forme de programmation horizontale, participative, qui les rend acteurs à part entière.
Vous connaissez des structures comme le LOL ?
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Des métiers créés sur mesure, à partir des envies et besoins des personnes
Quand en avril dernier, trois nouveaux salariés aux profils manuels rejoignent l’équipe, mais ne souhaitent pas travailler en animation ou en restauration, que fait-on ?
Chez Déclic et des Claps, on crée un atelier de fabrication de jeux en bois.
La finalité : des Scrabble géants, des jeux sensoriels en son et lumière sont disponibles au LOL mais également loués à des mairies, des associations ou à des organisateurs d’événements. Une activité inventée pour les salariés de l’EBE qui s’insère dans le modèle économique de la structure.
Et pour ceux qui souhaitent monter en compétence, acquérir de nouveaux savoirs, l’EBE accompagne ses salariés sur des formations ciblées, en lien avec les appétences identifiées. L’idée ? Monter en compétences au fil de l’eau, dans un cadre sécurisant, sur des projets concrets.
L’animation, un autre pilier fort
Dans les écoles du Teil, les besoins sont réels car elles manquent d’intervenants sur le temps périscolaire. Déclic et des Claps répond présent avec aujourd’hui, 9 ateliers hebdomadaires proposés autour de :
La culture japonaise & manga (porté par un salarié passionné),
La relaxation, la cuisine, les arts créatifs…
Et un projet pilote démarre également dans une école : 40 interventions de médiation culturelle et pédagogique en co-construction avec les enseignants, autour du jeu pour travailler des thématiques comme le respect ou la confiance en soi.
Les jeux du LOL deviennent ainsi des véritables leviers éducatifs et des outils puissants de médiation.
Une galaxie de micro-activités utiles
Et parce que, comme nous l’avons déjà dit, l’un des défis majeurs de l’entreprise est d’être rentable, elle doit trouver un équilibre dans les activités qu’elle propose. Déclic et des Claps a donc imaginer de nouvelles activités non concurrentielles qui répondent à des besoins locaux très réels :
de la Location de vaisselle ancienne (chinée dans les brocantes), pour les mariages, les Assemblées générales, les festivals… → avec un vrai impact sur la réduction des déchets,
un service de conciergerie pour les gîtes ou les lieux culturels → accueil des touristes, ménage, check-in/out…,
la diffusion de flyers et d’affiches → partenariat récent avec la Grotte Chauvet et d’autres acteurs culturels comme la SMAC 07,
le soutien à l’événementiel → montage/démontage, accueil, billetterie, service, plonge, etc.
« Ce qui me frappe, c’est qu’on découvre chez beaucoup de personnes des compétences qu’elles-mêmes ignoraient avoir. Parce qu’on leur a dit qu’elles n’étaient pas employables. Parce qu’elles ont perdu confiance. Ici, on leur donne le droit d’essayer ».
Des talents révélés, des parcours réparés
L’un aime la déco ? Il gère aujourd’hui les kits de décoration de tables.
Une autre rêve de travailler avec les enfants ? Elle fait de la médiation auprès des scolaires.
Un autre salarié, passionné par la culture japonaise, propose chaque semaine deux ateliers manga à des enfants du Teil.
«On ne parle pas seulement d’emploi, mais de reconnaissance, de reconstruction, de fierté».
Une autre idée de l’attractivité
Alors ce que montre Déclic et des Claps, c’est que l’attractivité d’un territoire ne passe pas uniquement par des grands projets d’aménagement, ou des campagnes de communication.
Elle se joue aussi, surtout peut-être, dans sa capacité à redonner une place à chacun.
Parce qu’un territoire où même les plus éloignés retrouvent leur utilité, où les gens créent ensemble des activités nouvelles, où l’on croise chaque semaine des actions qui animent le cadre de vie et qui font du lien, des ateliers autour de jeux en bois fabriqués par des salariés, de la médiation culturelle et pédagogique à destination des scolaires faite par des locaux, ou des tables fleuries de vaisselle chinée… ce territoire-là, oui, est profondément vivant.
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La semaine prochaine, Oh ! Des territoires vivants vous emmène explorer le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche labellisé depuis 2014 Géoparc, une reconnaissance internationale de l’Unesco pour la valorisation de son patrimoine géologique exceptionnel. Une attribution qui a permis au Parc de révéler, en coopération avec de nombreux partenaires, la richesse de son patrimoine et participer ainsi à l’attractivité du territoire.